Assistance administrative fiscale : un débat révélateur des fractures Nord-Sud


Rédigé le 12 Novembre 2025 à 16:45 | 0 commentaire(s) modifié le 12 Novembre 2025 18:59


EMA - Les négociations autour de l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale ont mis en lumière des divergences profondes entre pays du Sud, en particulier africains, et plusieurs États du Nord.


Les négociations autour de l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale ont mis en lumière des divergences profondes entre pays du Sud, en particulier africains, et plusieurs États du Nord.
Les négociations autour de l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale ont mis en lumière des divergences profondes entre pays du Sud, en particulier africains, et plusieurs États du Nord. Derrière les formulations techniques, c’est une vision du rôle de la coopération internationale dans la justice fiscale et le développement durable qui s’est exprimée.

L’Afrique plaide pour une ambition large

Dès l’ouverture des discussions, la Zambie, au nom du groupe africain, a rappelé que l’entraide est le socle de la coopération fiscale internationale. Pour les délégations africaines, l’échange d’informations est un outil vital contre l’évasion et la fraude fiscale agressive.

Leur position est claire : l’engagement doit être formulé de manière suffisamment large pour couvrir toutes les formes d’assistance administrative, y compris la publication de rapports pays par pays. La transparence est perçue comme un levier indispensable pour mobiliser les ressources nationales et soutenir un développement durable.

Prudence et réserves des pays du Nord

À l’opposé, plusieurs pays de l’OCDE – Mexique, Japon, Corée du Sud – ont mis en garde contre le risque de duplication avec les instruments existants, notamment le Forum mondial de l’OCDE et la Convention multilatérale.

La Suisse, fidèle à sa réputation en matière de fiscalité internationale, a insisté sur la nécessité de fixer des limites claires et de ne pas dépasser les normes déjà établies. L’Autriche et le Royaume-Uni ont soulevé une question cruciale : s’agit-il de rendre opérationnels les mécanismes existants ou de créer un régime autonome ? L’Estonie, elle, a jugé inutile d’ajouter un engagement supplémentaire, estimant que le Forum mondial couvre déjà largement le sujet.

Petits États insulaires et pays à faible revenu : la question des capacités

Les Bahamas ont défendu une approche pragmatique : l’assistance administrative doit avant tout renforcer les capacités des administrations fiscales. Leur délégation a rappelé que les ressources limitées des petits États insulaires sont déjà absorbées par la mise en œuvre de nouveaux régimes, comme l’impôt minimum du deuxième pilier.

Le Ghana et le Kenya ont dénoncé une idée reçue : les normes du Forum mondial ne sont pas universelles. La moitié des pays africains n’en sont pas membres, et seuls quelques-uns pratiquent l’échange automatique d’informations. Pour eux, l’assistance administrative doit inclure un soutien technique, un renforcement des capacités et des normes adaptées à la réalité des pays à faible revenu.

Le Brésil appelle à la clarté

Dans une intervention finale, le Brésil a résumé la confusion ambiante : pour certains, les règles actuelles posent problème ; pour d’autres, elles sont suffisantes et déjà consolidées. Plutôt que de figer les divergences, le Brésil propose une voie médiane : explorer la question par le biais de groupes de travail et de protocoles exploratoires. Une manière de tester les options sans créer un nouveau régime ex nihilo.

📊 Tableau comparatif des positions sur l’assistance administrative fiscale Groupe/Pays Position principale Arguments clés Enjeux mis en avant Afrique (Zambie, Ghana, Kenya, Groupe africain) Favorable à une approche ambitieuse et large - L’entraide est le socle de la coopération fiscale<br>- Nécessité d’un échange d’informations inclusif (rapports pays par pays)<br>- Critique du caractère non universel du Forum mondial Mobilisation des ressources nationales, transparence, justice fiscale Pays du Sud (Bahamas, Brésil) Prudence mais ouverture - Bahamas : priorité au renforcement des capacités administratives<br>- Brésil : confusion actuelle, propose exploration progressive via groupes de travail Capacités limitées des administrations, pragmatisme et gradualisme OCDE (Mexique, Japon, Corée du Sud, Autriche, Royaume-Uni, Estonie, Belgique) Réserves et prudence - Risque de duplication avec Forum mondial et Convention multilatérale<br>- Nécessité de complémentarité et respect des normes existantes<br>- Belgique : question sur souveraineté et réserves Cohérence institutionnelle, éviter surcharge administrative Suisse Restrictive - Refus d’aller au-delà des normes du Forum mondial<br>- Insistance sur des limites claires Protection de l’opacité fiscale, défense des intérêts nationaux Pays à faible revenu (Afrique, petits États insulaires) Demande d’adaptation - Besoin d’assistance technique et renforcement des capacités<br>- Protection des données et normes minimales adaptées Inclusion, équité, accès réel aux mécanismes  
Analyse : deux constats incontournables

Les débats révèlent deux évidences :
L’assistance administrative est un outil essentiel de mobilisation des ressources nationales. Tous les pays n’en bénéficient pas équitablement dans le cadre des règles actuelles.
Accepter ces deux prémisses permettrait de dépasser les blocages et d’utiliser la gouvernance de la Convention-cadre pour combler les lacunes. Les pays à revenu élevé, qui profitent déjà largement de l’assistance administrative, seraient ainsi invités à réfléchir à leur contribution au bien commun du développement mondial.

Conclusion

Les discussions du 12 novembre 2025 montrent que l’assistance administrative fiscale est bien plus qu’un mécanisme technique : elle cristallise les fractures Nord-Sud et pose la question de l’équité dans la coopération internationale.

Entre ambition africaine, prudence des pays de l’OCDE et pragmatisme des petits États insulaires, le compromis reste à construire. La proposition brésilienne d’une exploration progressive pourrait ouvrir la voie à un consensus, à condition que chacun accepte de mettre la transparence et la solidarité au service de la prospérité mondiale.
 
EMA


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