La bombe à retardement de la dette : quand les remboursements s'envolent, la santé et l'éducation s'effondrent


Rédigé le 8 Décembre 2025 à 11:10 commentaire(s) modifié le 8 Décembre 2025 12:10

Ndakhté M. GAYE est un journaliste d'investigation engagé dans le suivi citoyen des obligations… En savoir plus sur cet auteur

EMA - La dette des pays en développement atteint un niveau record , détournant 415 milliards de dollars des services vitaux. L'Afrique, en première ligne, paie le prix de l'insécurité alimentaire.


Le fardeau de la dette internationale n'a jamais été aussi lourd. Selon le dernier Rapport sur la dette internationale de la Banque mondiale, les pays en développement se sont enfoncés dans une crise d'endettement d'une ampleur inédite, avec des conséquences directes et dramatiques sur la vie de leurs populations.

Le gouffre de 741 milliards de dollars : un écart historique

L'alerte principale est donnée par un chiffre vertigineux : entre 2022 et 2024, les paiements effectués par les pays en développement au titre du service de la dette extérieure ont dépassé le volume de nouveaux financements de 741 milliards de dollars (417 397 890 000 000 FCFA). Cet écart représente la plus importante différence enregistrée depuis au moins 50 ans.

Les remboursements de la dette extérieure pour ces nations ont atteint leur plus haut niveau depuis cinq décennies.

L’encours total de la dette extérieure combinée des pays à revenu faible et intermédiaire s’est élevé à un niveau record de 8 900 milliards de dollars en 2024 (5 013 281 000 000 000 FCFA) . Pour les 78 pays les plus vulnérables (éligibles à l'IDA), la dette atteint un volume inédit de 1 200 milliards de dollars (675 948 000 000 000 FCFA).

Mais le coût le plus sidérant est celui des intérêts. En 2024, ces pays ont déboursé un montant sans précédent de 415 milliards de dollars (233 765 350 000 000 FCFA) rien qu'en intérêts. Ces sommes colossales ont été détournées de dépenses vitales qui auraient pu être consacrées à la scolarisation, aux soins de santé primaires et aux infrastructures essentielles.

Le prix de la dette : l'insécurité alimentaire


L'impact de cet endettement sur le quotidien des citoyens est dévastateur et fait l'objet d'une analyse alarmante dans le rapport.

Dans les 22 pays les plus endettés – ceux dont la dette extérieure dépasse 200 % des recettes d'exportation – 56 % des habitants en moyenne ne peuvent pas se procurer une alimentation saine et nutritive.

Parmi les 18 pays IDA les plus endettés, ce chiffre grimpe à près des deux tiers de la population. En moyenne, dans les pays les plus endettés, une personne sur deux ne peut se procurer les apports alimentaires journaliers nécessaires pour rester durablement en bonne santé.


L'Afrique en première ligne : la crise de l'IDA menace le développement

Le Rapport sur la dette internationale met en lumière un continent particulièrement exposé : l'Afrique. Si le communiqué ne nomme pas explicitement les pays, il se concentre sur les 78 pays éligibles aux prêts de l’Association internationale de développement (IDA) de la Banque mondiale – une institution dont la vaste majorité des bénéficiaires se trouvent en Afrique.

Ces pays, qui sont les plus vulnérables du monde, voient leur dette cumuler à un volume inédit de 1 200 milliards de dollars en 2024.

L'effondrement de la sécurité alimentaire


C’est dans ce groupe, largement africain, que l’impact humain de l’endettement est le plus visible et le plus désastreux. Le rapport révèle que sur les 22 pays les plus endettés, 18 d'entre eux sont des pays IDA.
 

Dans ces 18 pays IDA, le fardeau de la dette est si écrasant que près des deux tiers de la population ne peuvent pas se permettre une alimentation saine et nutritive. Les fonds qui devraient être consacrés aux dépenses de scolarisation, aux soins de santé primaires et aux infrastructures essentielles sont absorbés par les remboursements d'intérêts records, asphyxiant toute possibilité de développement humain durable.

Un espoir contre la marée


Face à cette situation critique, l’IDA – principal bailleur de fonds des pays les plus pauvres – se positionne comme un filet de sécurité indispensable. La Banque mondiale (IDA) a été la plus importante source de nouveaux financements nets pour ces pays.


En 2024, elle a fourni 18,3 milliards de dollars de nouveaux financements de plus que ce qu’elle a perçu en remboursements, un chiffre record, accompagné d'un versement de 7,5 milliards de dollars de dons.


Cependant, cet engagement massif de la Banque mondiale ne suffit pas à contenir l'accumulation de la dette contractée auprès d'autres créanciers, bilatéraux ou privés, et ne fait que souligner l'urgence d'une restructuration plus large et plus rapide pour éviter l'effondrement du tissu social et économique sur le continent..


Un faux répit : la dette coûte deux fois plus cher

L'année 2024 a apporté un certain répit grâce à des restructurations de dette et à un retour sur les marchés obligataires. Les pays ont procédé à la restructuration d'un montant record de 90 milliards de dollars de dette extérieure.

Parallèlement, les investisseurs obligataires ont injecté 80 milliards de dollars de nouveaux financements nets, ce qui a permis à plusieurs pays de mener à bien des émissions de plusieurs milliards.

Mais cette bouffée d’air est payée au prix fort : les taux d’intérêt ont fluctué autour de 10 %, soit environ le double des niveaux observés avant 2020. Les taux d’intérêt moyens sur les nouveaux prêts contractés sont d'ailleurs à leur niveau le plus élevé en 24 ans pour les créanciers publics et en 17 ans pour les créanciers privés.

Le piège de la dette intérieure


Face à la rareté des financements à faible coût, de nombreux pays en développement se tournent désormais vers des créanciers intérieurs – banques commerciales et institutions financières locales.


Le rapport souligne que dans plus de la moitié des 86 pays disposant de données, la dette publique intérieure augmente plus rapidement que la dette publique extérieure.


Bien que cela témoigne d'une certaine maturité des marchés financiers locaux, la statisticienne en chef de la Banque mondiale, Haishan Fu, met en garde contre les dérives :

Les emprunts intérieurs massifs peuvent inciter les banques nationales à privilégier les obligations d’État, au lieu de prêter au secteur privé local.

La dette publique contractée auprès de créanciers nationaux est soumise à des échéances plus courtes, ce qui augmente le coût du refinancement.


Le rôle des créanciers


Dans ce contexte, la Banque mondiale (IDA) se distingue en tant que principal bailleur de fonds des pays les plus pauvres. En 2024, elle a fourni à ces pays 18,3 milliards de dollars de nouveaux financements nets, accompagnés de 7,5 milliards de dollars de dons, un niveau record.


À l'inverse, les créanciers bilatéraux publics (principalement des États) ont reçu 8,8 milliards de dollars de plus en principal et en intérêts qu'ils n'en ont versé en nouveaux financements.


L'avertissement solennel


« Les conditions de financement mondiales s'améliorent, mais les pays en développement ne doivent pas s’y tromper : ils ne sont pas hors de danger », alerte Indermit Gill, économiste en chef et premier vice-président du groupe de la Banque mondiale pour l’Économie du développement.

Il exhorte les responsables publics à profiter de la marge de manœuvre actuelle pour « remettre de l’ordre dans leurs finances publiques, au lieu de précipiter leur retour sur les marchés d’emprunt internationaux ».

Le temps presse. Avec des taux d'intérêt élevés et une dette qui « continue de s’accumuler, parfois sous des formes nouvelles et pernicieuses », la crise de la dette est plus que jamais une crise humanitaire et de développement qui menace l'avenir d'une grande partie du monde.

 



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