Revitaliser le patrimoine africain du tourisme médical : une nouvelle ère d'excellence dans les soins de santé


Rédigé le 26 Septembre 2025 à 00:13 | 0 commentaire(s) modifié le 26 Septembre 2025 00:28


EMA - Chaque année, d’innombrables Nigérians et autres membres de l’élite africaine se rendent en Europe, en Inde, en Arabie saoudite et dans d’autres pays à l’étranger pour recevoir des soins médicaux.


Au cours des années 1960, le Nigeria était une destination de choix pour le tourisme médical. C'est difficile à croire, mais c'est pourtant vrai. Et c'était surtout l'hôpital universitaire d'Ibadan le lieu de prédilection, notamment pour les riches et même les membres de la royauté. Mais beaucoup de choses ont changé.

Chaque année, d’innombrables Nigérians et autres membres de l’élite africaine se rendent en Europe, en Inde, en Arabie saoudite et dans d’autres pays à l’étranger pour recevoir des soins médicaux, dépensant ainsi des milliards de dollars. Rien que pour l’année 2024, on estime que le Nigeria a perdu environ 2,39 milliards de dollars en tourisme médical, un important flux financier sortant qui met en évidence l’urgence pour l’Afrique de s’attaquer aux effets économiques liés au recours de ses citoyens aux soins de santé à l’étranger.

Qu'est-ce que cela signifie pour l'Afrique ? Le tourisme médical et les sorties de capitaux qui l'accompagnent ne sont pas seulement une perte de ressources ; ce phénomène entrave de plus en plus le renforcement des capacités et le transfert de compétences, empêche une prestation efficace des services de santé et aggravent, au final, les inégalités d’accès aux soins sur le continent.  Il y a également le problème de la fuite des cerveaux et du fossé croissant en matière d'infrastructures, les praticiens africains émigrant vers l'Occident en raison du mauvais état des infrastructures sanitaires et des faibles rémunérations, ce qui aggrave une situation déjà précaire dans le domaine des soins de santé.

L'accès à des soins de santé abordables et à des installations médicales de classe mondiale reste un défi dans une grande partie de l'Afrique. La Commission de la Conférence Internationale sur l’Agenda de la Santé en Afrique estime que plus de 50 % des 1,3 milliard d'habitants du continent n'ont pas accès aux services de santé de base.

La pénurie d'infrastructures de santé et le manque d'accès aux soins médicaux en Afrique ne sont pas liés à la situation géographique, car ce problème touche aussi bien les citadins que les ruraux, ces derniers étant toutefois les plus touchés.

Un système de santé à deux vitesses a également vu le jour malgré les initiatives visant à mettre en place des soins de santé en milieu rural. Cela signifie que les personnes situées au bas de l'échelle économique finissent par mourir de maladies qui, en principe, ne devraient pas être mortelles.

En conséquence, ceux qui en ont les moyens se tournent vers le secteur privé, au niveau national ou international. La Banque mondiale estime que 50 % des dépenses de santé en Afrique sont consacrées à des prestataires de soins de santé privés, mais ceux-ci sont confrontés à des contraintes en termes de manque d'équipements médicaux de pointe, de technologies permettant des interventions médicales avancées et de personnel qualifié.

Si la santé est effectivement une richesse, alors le tourisme médical en Afrique gaspille des ressources indispensables qui pourraient être consacrées à l'amélioration des infrastructures de santé, à la prestation des soins, au renforcement des capacités et au transfert de compétences.

Les récentes urgences sanitaires telles que Ebola, COVID-19 et Mpox, les épidémies saisonnières de choléra, de fièvre de Lassa et autres, ainsi que l'augmentation des maladies non transmissibles comme le cancer et les maladies cardiovasculaires, soulignent non seulement le fait que l'Afrique supporte une part disproportionnée de la charge mondiale de morbidité, mais attirent également l'attention sur les lacunes criantes des systèmes de santé africains.

Le soi-disant nationalisme de pénurie et la diplomatie vaccinale qui sont apparus au grand jour pendant la pandémie de COVID-19, lorsque les pays riches ont stocké et accumulé des fournitures médicales et des vaccins essentiels, nous rappellent de manière saisissante pourquoi nous devons nous efforcer de créer nos propres centres d'excellence en matière de soins de santé.

Il s'agit là d'un rappel opportun de la nécessité de décoloniser le système et les infrastructures de santé mondiaux, qui continuent de privilégier l'Occident tout en marginalisant les pays du Sud. L'Afrique doit être indépendante sur les plans politique, économique et sanitaire, car confier nos besoins en matière de soins de santé à d'autres présente à la fois des risques sécuritaires et économiques pour notre continent.

Pour replacer les choses dans leur contexte, les dépenses mondiales en matière de santé ont atteint les 9 800 milliards de dollars US en 2022, mais les pays à revenu faible et intermédiaire inférieur ont reçu moins de 3,2 % de ce montant. Cette disparité reflète un plus grand défi : de nombreux gouvernements africains continuent d'investir relativement peu dans les soins de santé, n'y consacrant en moyenne que 7,4 % de leur budget national.
Ce chiffre est bien inférieur à l'engagement de 15 % pris dans le cadre de la Déclaration d'Abuja de 2001, dans laquelle les États membres de l'Union africaine se sont engagés à donner la priorité aux dépenses de santé en y consacrant au moins 15 % de leur budget national. Bien que des progrès aient été réalisés au cours des deux dernières décennies, l'écart reste important.

À l'avenir, des pressions croissantes, notamment l'évolution des priorités géopolitiques, la baisse de l'aide publique au développement (APD), la diminution des réserves de change et l'augmentation de la dette, risquent d'aggraver ces difficultés et de rendre l'accès aux soins de santé, y compris le tourisme médical, encore plus difficile.

Il est plus que jamais urgent de renforcer les investissements dans des systèmes de santé locaux résilients, capables de résister aux chocs mondiaux et de répondre aux besoins des populations africaines.

Comment l'Afrique peut-elle rectifier le tir ? Les synergies collaboratives entre le gouvernement, les entités privées et les autres parties prenantes doivent être encouragées, même si les pays africains sont exhortés à respecter la Déclaration d'Abuja de 2001.

La collaboration entre le gouvernement et les entités privées devrait prendre la forme de partenariats public-privé élargis. Le Centre Médical Africain d'Excellence (AMCE) d'Abuja, un établissement médical tertiaire multispécialisé développé par la Banque Africaine d'Import-Export (Afreximbank) en collaboration avec le King's College Hospital de Londres et avec le soutien du gouvernement fédéral du Nigeria, en est un exemple.

Le centre, qui a commencé ses activités le 5 juin 2025, devrait créer environ 3 000 emplois et accueillir plus de 350 000 patients du Nigeria et d'autres pays africains au cours de ses cinq premières années.

L'AMCE n'a pas seulement pour vocation de fournir des soins de santé de premier ordre. Il sert aussi de catalyseur à la transformation du secteur de la santé en Afrique. En même temps, le centre envoie un message fort au monde entier, indiquant que l'Afrique prend enfin son destin en main en matière de souveraineté sanitaire et de contribution à l'établissement de normes mondiales en matière de soins de santé.

L'AMCE est donc plus qu'un simple élément essentiel du réseau d'établissements de santé d'Afreximbank, qui vise à lutter contre la fuite des cerveaux, à réduire le tourisme médical, à promouvoir la création d'emplois et à faciliter le renforcement des capacités et le transfert de compétences dans le secteur de la santé.

Il s'agit également d'un espace dédié au développement et au soutien des professionnels de santé, qui sert de centre de recherche, de développement et d'enseignement innovants et offre des services complets en oncologie, hématologie, soins cardiovasculaires et médecine générale et chirurgicale. Sa Fondation Africaine Live Sciences devrait non seulement stimuler la recherche sur les « maladies africaines » incurables telles que la drépanocytose et le paludisme, qui ont jusqu'à présent reçu peu d'attention de la part des chercheurs occidentaux, mais aussi permettre de trouver un remède d'ici cinq à sept ans.

Le succès de l'AMCE Abuja validera le concept d'Afreximbank et, espérons-le, ouvrira une nouvelle ère en faisant du Nigeria, et même de l'Afrique, un pôle de premier plan pour le tourisme médical, en relevant le défi du déficit d’infrastructures de santé et des installations de diagnostic, en économisant les milliards de dollars dépensés pour le tourisme médical à l'étranger, en développant la recherche sur les maladies qui intéressent les personnes d'origine africaine et en construisant un écosystème qui nous survivra tous.
 
 Par :

S.E. Kashim Shettima Mustapha (GCON), Vice-Président de la République Fédérale du Nigéria

Prof Benedict Oramah (GCON), Président d'Afreximbank et du Conseil d'Administration de la Banque

Kashim Shettima Mustapha et Benedict Oramah


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