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Energie & Mines Afrique

Gazoducs sénégalais : l’appel du FONSIS aux bailleurs étrangers marginalise le privé local et pose la question de la souveraineté économique


Rédigé le 10 Décembre 2025 à 16:58 | 0 commentaire(s) modifié le 10 Décembre 2025 - 18:59

Massamba Ndakhté Gaye
Ndakhté M. GAYE est un journaliste d'investigation engagé dans le suivi citoyen des obligations... En savoir plus sur cet auteur

EMA - Ce recours à la finance étrangère révèle surtout l’urgence de mobiliser des fonds qui, majoritairement étrangers, risquent d’hypothéquer la souveraineté énergétique du pays.


Le Fonds souverain d'investissements stratégiques du Sénégal (FONSIS) a officiellement lancé la levée de capitaux pour le futur réseau de gazoducs national, piloté par Réseau gazier du Sénégal (RGS). Ce mouvement, présenté comme un progrès majeur, révèle surtout l’urgence de mobiliser des fonds qui, majoritairement étrangers, risquent d’hypothéquer la souveraineté énergétique du pays.

Le projet national et le spectre de la dette externe

Hier, lors d’un panel sur le thème : « Mobiliser les capitaux privés et réduire les risques pour des projets à fort impact » organisé dans le cadre de la conférence MSGBC Oil, Gas & Power 2025, le gestionnaire d’investissement du FONSIS, Saliou Diouf, a confirmé avoir financé les études de faisabilité et chercher maintenant les capitaux nécessaires au lancement du projet. M. Diouf a insisté sur le rôle du fonds : « apporter des capitaux, rendre ces projets bancables [...] et les structurer avec une gouvernance solide. »

Cependant, la quête de financement tourne immédiatement les regards vers l'extérieur, suscitant des inquiétudes quant aux conditions qui seront imposées.
 
  • Priorité à la "bancabilité" : la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), par la voix de son vice-président, Abdoulaye Daffé, a mis l'accent sur la nécessité d'un « impact socio-économique mesurable ». Une rhétorique louable, mais l'impératif premier des institutions comme la TDB (Trade and Development Bank) reste clair : n'accepter que des projets « qui génèrent des flux de revenus prévisibles » pour garantir le retour sur investissement de leurs clients.
  • L’alignement géopolitique : l’intervention de la US International Development Finance Corporation (DFC) a été particulièrement révélatrice. Son directeur général, Biro Condé, a rappelé que tout investissement doit être « conforme à la politique étrangère des États-Unis. » Cette conditionnalité suggère que le développement des infrastructures gazières sénégalaises ne répondra pas uniquement aux besoins nationaux, mais devra s'aligner sur des intérêts géopolitiques qui lui sont extérieurs.

Où est le capital privé sénégalais ?

L'une des critiques les plus acerbes concerne la marginalisation, voire l'absence, du secteur privé sénégalais dans la structure de capital de ce projet d'infrastructure essentiel.
Le fait que le FONSIS, un fonds souverain national, doive solliciter de manière si visible des banques de développement et des agences de financement étrangères pour un projet national, met en évidence l’incapacité ou le manque de volonté de mobiliser des acteurs privés locaux.

Ce modèle de financement vertical, piloté par l'État et massivement soutenu par des créanciers externes, relègue les entreprises sénégalaises à un rôle de simples sous-traitants, au lieu d'en faire des co-investisseurs stratégiques. Les conséquences qui peuvent en découler sont :
  1. Fuite des profits : en cas de succès du réseau gazier, la majorité des bénéfices générés par le transport et la distribution du gaz ne seront pas réinvestis dans l'économie locale, mais remonteront aux institutions et actionnaires étrangers, aggravant la fuite de capitaux.
  2. Manque d’appropriation : sans une participation significative du capital privé local, l'appropriation nationale du projet reste faible, laissant la gouvernance et les décisions stratégiques sensibles aux pressions extérieures.

Un fonds intergénérationnel atypique : la question des 10%

Le FONSIS gérera également le futur fonds intergénérationnel. Il est crucial de noter que ce fonds ne sera alimenté que par une part étonnamment limitée : 10 % des recettes d'hydrocarbures futures de l'État.

Cette faible quote-part soulève une interrogation fondamentale sur la volonté politique d'assurer des retombées massives pour la population. Si le Sénégal hypothèque sa production gazière par des emprunts massifs pour la construction du réseau, et que le reste des revenus nets est déjà engagé ou absorbé par les coûts d'exploitation et les parts des multinationales, cette fraction de 10 % est-elle vraiment suffisante ?

Ce pourcentage, loin de garantir un plan de développement socio-économique ambitieux et durable, risque de n'être qu'une portion symbolique. Il met en lumière une possible disparité : l'État assume la dette d'une infrastructure pour faciliter l'exploitation, tandis que les retombées directes pour la collectivité restent minimes. L'efficacité et la transformation promise par l'ère gazière sénégalaise reposeront donc sur une portion très réduite de la manne totale, rendant les promesses de prospérité particulièrement fragiles.

 



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