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SÉNÉGAL : le paradoxe de l’or et du pétrole


Rédigé le 30 Décembre 2025 à 18:26 | 0 commentaire(s) modifié le 30 Décembre 2025 - 18:55

Massamba Ndakhté Gaye
Ndakhté M. GAYE est un journaliste d'investigation engagé dans le suivi citoyen des obligations... En savoir plus sur cet auteur

EMA - Derrière les chiffres vertigineux se cache une réalité plus nuancée, faite d'écarts statistiques abyssaux et d'une captation de richesse qui semble fuir le budget national.


Le rapport ITIE 2024 vient de tomber comme un couperet, confirmant ce que beaucoup redoutaient : si le sous-sol sénégalais n’a jamais été aussi généreux, le citoyen, lui, reste sur sa faim. Avec 455,99 milliards FCFA de revenus générés en 2024, le secteur extractif affiche une santé de fer. Mais derrière ces chiffres vertigineux se cache une réalité plus nuancée, faite d'écarts statistiques abyssaux et d'une captation de richesse qui semble fuir le budget national.

L'illusion des chiffres : le pétrole de Sangomar en eaux troubles

L’année 2024 restera celle de l’entrée du Sénégal dans le club des producteurs de pétrole. Pourtant, la lecture des chiffres officiels ressemble à un casse-tête chinois. Comment expliquer que la Direction générale des hydrocarbures (DGH) annonce 16,9 millions de barils produits sans communiquer sur la valeur de la production estimée à la commercialisation, quand PETROSEN n’en comptabilise que 14,2 millions affichant par contre plus de 641 milliards FCFA correspondant à la valeur de la production estimée à la commercialisation ? Cet écart de plus de 2,6 millions de barils — l'équivalent de plusieurs cargaisons — interroge sur la fiabilité des mécanismes de contrôle de l'État sur ses propres ressources.

Un "Business" d'exportation pure

Le constat est cinglant : le secteur extractif sénégalais travaille pour le reste du monde, pas pour le Sénégal.
  • Le Pétrole ? Sur les 16,9 millions de barils produits, 16,4 millions de barils sont exportés, soit 99,9 %, pour une valeur d’exportation non communiqué. Combien de gouttes de brut de Sangomar ont alimenté la SAR (Société africaine de raffinage) pour faire baisser le prix à la pompe des sénégalais en 2024 ?
  • L'Or et les Mines ? Sur 1 317 milliards FCFA de valeur produite, seuls 14,9 milliards ont fait l'objet de ventes locales.
Une preuve parfaite que le Sénégal extrait, mais ne transforme pas. Le pays reste une économie de comptoir où la richesse transite par le port de Dakar sans encore irriguer le tissu industriel profond du pays.

Chiffres d'affaires XXL, Paiements XXS

C'est le point de friction majeur. Alors que la valeur totale de la production avoisine les 1 960 milliards FCFA, l'État n'en capte que 455,99 milliards. Moins de 24 % de la richesse brute finit dans les caisses publiques.

Certes, les entreprises invoquent le "Cost Oil", c’est-à-dire, dans le cadre d’un contrat de partage de production, la part de production d’hydrocarbures mise à la libre disposition de l’entrepreneur (groupe entrepreneur) et déterminée contractuellement pour le remboursement des investissements des dépenses d’exploration, de développement, d’exploitation, de restitution des sites (dépenses dites « récupérables »).

Mais pour le grand public, le décalage est insupportable : comment des multinationales peuvent-elles afficher des chiffres d'affaires en milliards de dollars tandis que les budgets de santé et d'éducation peinent à être bouclés ?

Avec 392, 961 milliards FCFA, Sabodola Gold Operations (SGO) est de loin l’entreprise qui a généré le plus grand chiffre d’affaires en 2024. Elle est suivie notamment par l’entreprise Industries chimiques du Sénégal (ICS) qui affiche une santé de 349, 995 milliards FCFA, de Grande Côte Opérations (GCO) : 208, 511 milliards FCFA, Ciments du Sahel (CDS) : 163, 864 milliards FCFA et Société de commercialisation du ciment (SOCOCIM) : 161 020 milliards FCFA.

Qu’en est-il de PETROSEN, bp, WOODSIDE, TOTAL, dont leurs chiffres d’affaires sont dissimulés ?

Les dépenses sociales des entreprises au titre de l’année 2024 (6,6 milliards FCFA) apparaissent alors comme une simple opération de cosmétique face aux profits générés.

Dans le secteur minier, SGO qui a le plus gros chiffre d’affaires n’a donné que 1,5 milliards FCFA en guise de paiement social obligatoire et rien pour le paiement social volontaire. De même, GCO a effectué un paiement social obligatoire de plus de 50 millions FCFA et aucun paiement social volontaire.   

L’entreprise ICS n’a pas effectué de paiement social obligatoire, elle s’est limitée à un paiement social volontaire d’environ 828 millions FCFA. Il en est de même que l’entreprise CDS qui s’est limitée à un paiement social volontaire de près de 590 millions FCFA.

Quant à SOCOCIM, son nom ne figure pas dans la liste des entreprises minières ayant effectué des dépenses sociales. 

Dans le secteur des hydrocarbures, bp Sénégal a effectué un paiement social volontaire de près de 905 millions FCFA et rien pour le paiement social obligatoire), WOODSIDE a effectué un paiement social obligatoire de plus de 92 millions et un paiement social volontaire plus de 170 millions FCFA, TOTAL (un paiement social obligatoire de plus de 360 millions FCFA et rien pour le paiement social volontaire), PETROSEN (un paiement social obligatoire de plus de 92 millions FCFA et un paiement social volontaire de 7 millions FCFA).

Le constat est visible : avec leurs chiffres d’affaires colossaux, les sociétés minières et pétrolières n’ont dépensé que certains millions pour le social.  

Le Contenu local : la seule lueur d'espoir ?

Tout n'est pas noir. Le rapport souligne une percée majeure : 1 110,1 milliards FCFA de transactions ont été effectuées auprès des fournisseurs locaux, contre 1 025, 5 milliards FCFA auprès des fournisseurs étrangers.

Les entreprises minières ont dépensé 1 435 794 161 388 FCFA, tandis que les entreprises pétrolières et gazières ont fait des transactions de l’ordre de 699 922 518 277 FCFA.

Par ailleurs, le rapport d’activité 2024 du Secrétariat technique du Comité national de suivi du contenu local (ST-CNSCL) précise, pour le secteur minier, que 15 plans de passation de marchés (PPM) ont été soumis par les titulaires de titres miniers, dont 8 validés et que 112 marchés ont été publiés sur la plateforme du ST-CNSCL entre avril et décembre 2024.

Si, sur ces 112 marchés lancés par les donneurs d’ordre du secteur minier en 2024, Sabodala Gold Opérations (SGO) en a dévoilé 26, il n’en est pas autant pour les autres géants du secteur comme GCO, ICS, CDS.

C'est ici, et non dans la fiscalité directe, que semble se jouer la bataille de la souveraineté économique. Si l'État n'arrive pas à taxer suffisamment les profits, il doit au moins forcer ces géants à consommer "sénégalais".

Un réveil nécessaire

Le rapport ITIE 2024 n'est pas seulement un recueil de données, c'est un avertissement. À l'heure où le Sénégal mise sur ses ressources pour financer son émergence, la transparence ne suffit plus. Il faut désormais de l'efficacité.

Tant que les barils produits ne seront pas comptés à l'unité près par toutes les régies, et tant que la transformation locale restera le parent pauvre des politiques publiques, le secteur extractif restera un géant aux pieds d'argile, enrichissant les marchés mondiaux tout en ne distribuant que des "dividendes symboliques" au peuple sénégalais.

Heureusement que les autorités sénégalaises l’ont bien compris, et travaillent dans le sens d’inverser la tendance avec en ligne de mire la mise en place des pôles territoriales dédiés à la transformation des ressources extractives.

Reste à matérialiser cette volonté politique pour le bénéfice des populations et des entreprises locales.
 
EMA – L'analyse qui va au fond des mines et de l’offshore.



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